Entretien avec le Professeur Ahmed Nejmeddine, Président de l'Université Hassan Premier

Entretien avec le Professeur Ahmed Nejmeddine, Président de l'Université Hassan Premier

 

  • Toutes les universités s’investissent dans la professionnalisation de la formation. Ce positionnement reflète-t-il des orientations particulières de votre projet d’université ?

En tant que Président d’université, je suis tout à fait conscient que la réussite des missions pédagogiques et scientifiques de mon institution dépend de sa capacité d’améliorer l’articulation «formation-recherche-professionnalisation», et d’augmenter la «lisibilité » de ses formations.
Et donc l’amélioration de la professionnalisation, constitue un des axes stratégiques de mon projet de développement. Il s’agit d’un axe qui renvoie à une caractéristique essentielle de l’Université dont six de ses huit composantes (FST, ENCG, ENSA, EST, ISSS et ISS) ont comme vocation explicite la formation de professionnels.
Notre ambition est non seulement le renforcement de la dimension professionnalisante de ces établissements à travers la diversification des formations en leur sein, qui atteint 73,3% des 103 filières de formations ouvertes mais aussi, et surtout, l’encouragement de l’innovation dans l’offre de formation et dans l’approche pédagogique adoptée à travers des filières en adéquation avec nos spécificités socioéconomiques et répondant aux besoins des grands chantiers nationaux.
Nous sommes également très fiers d’être la première institution universitaire nationale qui a créé de nouveaux établissements universitaires uniques à l’échelle du paysage universitaire public du royaume. Je parle de l’Institut Supérieur des Sciences de la Santé, qui a connu la sortie de deux promotions et qui connaitra cette année la sortie de sa première promotion en cycle master, mais également l’institut des Sciences de Sport qui a ouvert ses portes depuis septembre 2016 à travers deux licences professionnelles en éducation physique et en management du sport.
Actuellement nous travaillons sur un projet de création d’un Institut Supérieur des langues, encore une expérience unique au niveau national pour ancrer le caractère professionnalisant de notre institution en abordant un champ disciplinaire nouveau qui est celui des langues appliquées.
  • Quelle place occupe le partenariat dans votre stratégie de développement et quelles relations et partenariats entretenez-vous avec le monde de l'entreprise et le monde de l'économie dans la région ? Et avec les universités étrangères ?

Comme vous le savez, l’institution universitaire nationale est en train d’évoluer dans un cadre de régionalisation avancée. Et si notre pays a fait de la décentralisation, un choix stratégique pour le renforcement de la gouvernance locale ; la réussite d'une telle stratégie dépend de notre volonté de développer des institutions performantes, mais surtout de notre capacité de créer une synergie entre les différents acteurs et d’identifier les atouts et les voies d’amélioration de cet écosystème régional à multiples dimensions.

C’est donc un concept qui met l’institution universitaire sur le devant de toute politique de développement et qui l’interpelle pour jouer pleinement sa mission d’acteur de développement socioéconomique en mettant tous ses atouts au profit de l’être humain.

Et c’est cette conviction qui nous anime pour faire du partenariat un axe prioritaire dans notre stratégie de développement institutionnel. Une stratégie qui fixe comme objectifs la réalisation de projets phares et structurants mettant l’institution dans un cadre d’évolution continue en tirant parti de toutes les opportunités qui se présentent et en agissant en institution citoyenne établie dans sa région et dans son pays.

Notre ambition va au delà des frontières nationales à travers une politique de partenariat et de coopération qui vise et soutient l’internationalisation de l’institution universitaire. Plus de 130 accords et conventions de partenariat nous lient avec des partenaires à travers le monde. La participation active de notre institution aux différents programmes de coopération internationale a permis aussi la réalisation de plusieurs projets bilatéraux ou multilatéraux, dans le domaine de la recherche, de la pédagogie et de la gouvernance universitaire. Elle a contribué à une amélioration nette des recettes propres de l’Université.

A titre indicatif, et dans le cadre de son programme ERASMUS + financé par l’union européenne, nous avons lancé, depuis janvier dernier, un projet portant sur l’Institutionnalisation des Structures d’Innovation et de Transfert du Savoir (INSITES). Une nouvelle pierre qui s’ajoute à l’édifice des projets de coopération internationale qui ont fait de notre institution une université leader à l’échelle nationale et dont je site les projets MISSION, RECET visant la modernisation de la gouvernance universitaire à travers respectivement la mise en place d’un système d’information intégré et d’un dispositif d’assurance qualité, à ceci s’ajoute le projet de mobilité interafrique « CAPITUM ».

C’est également à travers cette politique d’ouverture que des délégations africaines, espagnoles, portugaises, belges, américaines, françaises, anglaises, russes, et chinoises rendent visite annuellement à notre région, participant aux manifestations scientifiques, culturelles ou sportives de notre université ou encore sollicitant son savoir faire dans le cadre d’une formation ou une thématique de recherche ciblée.

Nous nous inscrivons aussi dans la volonté de notre pays de promouvoir le partenariat sud-sud, Je vous ai parlé du projet de mobilité Interafrique « CAPITUM », notre université accueille également plus de 670 étudiants représentant 51 nationalités et dispose de multiples partenariats avec des institutions africaines.

Une ouverture sud- sud qui s’ajoute à la mobilité vers les pays du nord enregistrant au cours des cinq dernières années, 470 mobilités sortantes et plus de 120 mobilités entrantes.

  • Quelle est votre stratégie par rapport à l’orientation et à l’accompagnement des étudiants ?

L’orientation et l’accompagnement pédagogique s’inscrivent comme une action importante dans notre stratégie institutionnelle de promotion de la réussite de notre étudiant et de lutte contre l’échec universitaire et les « années inutiles ».

Et c’est pour cela que nous avons adopté une série de mesures d’appui à travers la création d’un centre universitaire d’orientation et d’information (COI) qui propose un dispositif, d’accompagnement des étudiants, intervenant à différents niveaux:

Le tutorat étudiant lycée: en partenariat avec l’Académie Régionale d’Education et de Formation, plusieurs actions au profit des lycéens sont organisées. Leur finalité est d’informer les jeunes apprenants sur les formations universitaires et de les aider à faire leur choix d’orientation. Le dispositif prend diverses formes: Journées portes ouvertes, visites dans les lycées, organisation de la semaine de la sciences, participation dans les forums nationaux…

Le tutorat d’accueil consiste à guider et ainsi à faciliter l’intégration des étudiants primo-entrants et donc à répondre à leurs multiples questions sur l’université. L’intervention du COI se fait sur les chaines d’inscription administratives et aux séances de prérentrée.

Le tutorat pédagogique: à travers la coordination de cette action de tutorat en favorisant l’aide aux étudiants pendant leurs études, en animant des cours de méthodologie de travail, de gestion de temps, de mémorisation, de prise de notes…

Et toujours dans la volonté de promouvoir la réussite de notre étudiant et de renforcer ses soft skills ou compétences transversales facteur déterminant dans l’employabilité des jeunes, notre université adopte une série d’actions d’enseignement des langues vivantes dont je cite les universités d’automne de la langue française en partenariat avec l’Institut Français du Maroc et la Haute Ecole de Namur Liège Luxembourg en Belgique, la plateforme d’enseignement à distance de la langue anglaise en partenariat avec Britichcouncil ou encore l’enseignement de langue espagnole par des enseignants invités de l’Université de Granada.

A partir de la présente année universitaire nous ouvrons nos étudiants à de nouvelles pratiques linguistiques internationales à travers d l’enseignement de la langue chinoise, russe et portugaise

Nous menons aussi des actions de promotion de l’innovation et de la créativité en partenariat avec des acteurs institutionnels de renommée mondiale. Des initiatives de mobilité sont également menées dans le cadre de coopération bilatérale ou à travers l’adhésion au programme international Erasmus plus, tout ceci pour favoriser l’épanouissement, la réussite et le renforcement de l’employabilité de nos jeunes.

D’autre part, la vie étudiante est riche et variée au sein de l’université qui soutient, anime et fédère l’activité de plus de 60 associations et clubs estudiantins existants dans les différents établissements universitaires. Cela n’a pas manqué d’avoir un impact positif sur l’épanouissement de notre jeunesse et sur la promotion de sa réussite.

A noter que nos campus universitaires abritent annuellement des manifestations culturelles et sportives de grande ampleur, dont je cite avec beaucoup de fierté le Congrès National du Sport et le Prix Moulay EL Hassan organisé annuellement sous le Haut patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI que Dieu l’Assiste. Un événement, avec un rayonnement international, qui connaît chaque année la participation de plus de 500 étudiants marocains et étrangers.

  • L’inadéquation formation-emploi est la principale cause du chômage des jeunes diplômés, notamment les lauréats des universités. Quels sont les mécanismes mis en place par l’UH1 pour assurer une meilleure transition entre les études et l’insertion professionnelle ?

J’étais toujours convaincu que le recentrage de l’institution universitaire sur les problématiques cruciales de développement national et régional demande une écoute des attentes du marché professionnel, afin d’amener les établissements à se focaliser davantage sur le renforcement des processus pédagogiques et organisationnels.

Dans notre politique d’amélioration de l’employabilité de nos lauréats à l’Université Hassan 1er, nous ne nous contentons pas d’offrir à nos étudiants une formation en adéquation avec le secteur socioéconomique, mais nous déployons également de grands efforts pour améliorer leurs compétences à travers des dispositifs transversaux d’appui et d’accompagnement, que je viens de citer, dont l’enseignement des langues vivantes ou encore la promotion des échanges universitaires dans le cadre de la mobilité internationale.

D’autre part, notre institution a mené, 5 enquêtes sur le cheminement professionnel de ses lauréats, la sixième est en cours, et ce en partenariat avec l’Instance Nationale d’Evaluation relevant du Conseil Supérieur d’Education de la Formation et de la recherche scientifique, là je vous parle également d’une expérience pilote au niveau national.

Notre objectif, à travers ladite étude, est d’avoir une bonne visibilité sur notre offre de formation pour une meilleure adéquation avec l’évolution du marché de l’emploi.

Les principaux résultats obtenus ont révélé que l'insertion professionnelle chez tous nos lauréats démarre avec un taux moyen de 54%, pour atteindre 80%. Ce taux atteint 100% au niveau de l’ENCG et de l'ISSS.

Plus que cela, l’examen précis des typologies de trajectoires sur le moyen terme (31 mois) a souligné que 50% des lauréats disposent d’un emploi durable, 37.7% poursuivent leurs études, et seulement 12.7% sont victimes du chômage durable.

Des indicateurs encourageants, mais qui ne nous empêchent pas, en tant qu’acteurs, de mener une réflexion consistante autour de la relation formation-emploi. Et c’est avec cette conviction que nous sommes entrain de mettre en place un centre de développement de carrières, ce projet ambitionne de mettre en place des dispositifs qui permettraient aux acteurs de l’enseignement supérieur de détecter à temps réel les signaux du marché professionnel pour savoir se réajuster.

A ceci s’ajoute les efforts déployés pour un meilleur rapprochement avec le secteur professionnel à travers l’organisation des journées des métiers et des forums universités-entreprises qui sont des rendez-vous annuels dans les différentes composantes de l’Université.

  • Grâce à une politique dédiée, l’UH1 est considérée comme le leader universitaire de la formation continue. Comment se développe aujourd’hui ce segment ?

formation continue constitue au même titre que la formation initiale et la recherche, une des grandes missions assignées à l’Université. Elle a toujours été un axe fort de notre institution. Ce succès particulier de la formation continue se justifie par la pertinence des 93 filières de formation ouvertes qui tiennent compte des spécificités du tissu socioéconomique régional et national. Nous touchons aux divers domaines des sciences et techniques, de l’ingénierie, de l’économie de l’informatique, des finances, de la gestion qui connaissent une demande de plus en plus croissante. Actuellement nous comptons plus de 5200 stagiaires inscrits dans nos 6 centres de formation continue.

Il faut dire que notre offre de formation a profité de sa présence dans un site économiquement stratégique. Le dynamisme de notre région, la qualité des activités qui y sont exercées et la diversité des entreprises qui y sont installées ont contribué fortement à tisser un réseau de partenariat important.

Je tiens à vous souligner que la qualification du potentiel humain est l’ambition principale de cette offre de formation dont 80% sont des salariés visant leur promotion professionnelle, à côté des 20% qui font de cette prestation universitaire un moyen de développement des compétences et un outil pour améliorer leur employabilité.

Malgré cette « success-story », nos ambitions demeurent plus importantes et pour les prochaines années, l’UH1 cherchera à mieux structurer son dispositif d’offres en matière de formation continue en vue de son articulation autour d’une logique du marché. Notre institution souhaite construire un dispositif global de formation tout au long de la vie.

L’ambition est d’offrir à toute personne, jeune ou moins jeune, un accès à l’université à tout moment de sa trajectoire personnelle et professionnelle, en lui garantissant la validation de ce qu’elle a appris en dehors de l’université dans d’autres dispositifs de formation. Nous pensons à la formation continue à distance mais aussi à la validation des Acquis de l’Expérience (VAE) qui constituentune nouvelle approche que le secteur de l’éducation et de la formation nationale connaîtra inéluctablement dans un avenir proche.

  • L’UH1 a été primée à plusieurs reprises pour ses projets de recherche, notamment en matière d’innovation. Pouvez-vous nous parler de la place de la RD au sein de votre université ?

Il n’est plus à démontrer que la recherche scientifique est un pilier dans le développement socioéconomique d’un pays, nous ne parlons pas uniquement d’une recherche fondamentale traitant des concepts théoriques mais d’une R&D qui franchit les limites académiques en générant une valeur ajoutée.

Et c’est dans ce sens que notre institution a mis les fondements d’une politique de valorisation scientifique à travers un certain nombre d’instances et d’actions intervenant à différents niveaux dont je cite l’incubateur de projets de création d’entreprises Marobtikar adoptant un modèle de collaboration tripartite avec la fondation OCP et l’école des mines de Douai.

Aujourd’hui MaroBtikar est devenu une structure de référence pour le Réseau Marocain d’Incubation et d’Essaimage. Ladite structure joue pleinement son rôle dans la détection et l’accompagnement des projets issus de différentes régions du Royaume. Ces 7 années d’expérience ont vu se concrétiser la création juridique de 5 start-up issues de l’incubation de 15 projets sélectionnés touchant aux domaines de l’agriculture, de l’environnement, des énergies nouvelles et des technologies d’information et de communication.

Et c’est toujours dans l’objectif d’incitation à la production de la valeur ajoutée que nous avons lancé notre projet structurant de cité de recherche et de l’innovation, d’un montant total de 34 MDH pour sa construction. Ce projet est mené en partenariat avec notre Ministère de tutelle et le Ministère de l’Industrie, du Commerce de l’investissement et de l’économie numérique. Aujourd’hui nous sommes en phase d’acquisition des équipements scientifiques de haut niveau pour un lancement prochain de cette grande structure.

Le projet prévoit la mise en place d’un pôle « plateaux bureaux » dédié à soutenir l’innovation et la culture entrepreneuriale, une plateforme polyvalente dédiée aux activités « R&D » et prototypage, qui sera à la disposition des chercheurs universitaires et industriels et un pôle d’expertise économique qui travaillera en collaboration avec le Centre Régional d’Investissement. Il aura comme vocation principale de mener des études sur les opportunités d’investissement et de faire connaître aux entrepreneurs les spécificités de l’environnement économique national et international

Avec la même politique de valorisation de la recherche scientifique, notre institution a renforcé le paysage universitaire et économique national par la création d’un nouveau pôle de compétitivité « Efficacité Energétique des Matériaux de Construction» renfermant en son sein des industriels, des architectes, des ingénieurs, et des universitaires

Ces efforts déployés, en termes de recherche scientifique et d’innovation, nous ont permis de nous positionner parmi les meilleures institutions nationales avec 38 brevets dont 7 internationaux. A ceci s’ajoutent, comme vous l’avez bien mentionné, les différents prix et récompenses récoltées par nos chercheurs dans d’importantes manifestations et concours nationaux et internationaux

  • Un dernier mot pour conclure

Je tiens à vous remercier pour l’intérêt que votre groupeaccorde à notre institution et à adresser, en votre nom, ma profonde gratitude à toutes les composantes de la presse nationale pour l’accompagnement des diverses réformes et projets de l’institution universitaire. Vous jouez un rôle très important non seulement dans l’orientation de notre jeunesse estudiantine mais également pour éclairer l’opinion publique des ambitions et des défis de l’université marocaine.

Et je ne peux conclure mon intervention sans souligner qu’à l’Université Hassan 1er, nous menons notre projet de développement institutionnel avec le profond souhait d’être à la hauteur des ambitions royales. Nous nous mobilisons tous derrière sa Majesté le Roi que Dieu le Glorifie, qui place le secteur de l’éducation et de l’enseignement en tête des priorités nationales. Et c’est dans ce sens que nous devrons tous œuvrer pour que Ce système joue pleinement son rôle dans la préparation de notre jeunesse marocaine à s’insérer dans une société qui connait une grande évolution et à s’investir pleinement dans le processus de développement socioéconomique et de progrès démocratique que connait notre pays.